Sur fond de guerre du foot entre Canal+ et BeIN Sports pour les droits de diffusion de la Ligue 1, j’ai reçu, l’autre jour, un SMS d’Orange. Il n’y a pas si longtemps, le nom de mon opérateur était accolé à celui du championnat de France. Aujourd’hui, il en est réduit à envoyer des textos publicitaires à ses clients pour vanter les miettes que lui ont laissées les deux chaînes payantes : les droits dits « nomades ».
Le dernier week-end d’avril, j’avais donc l’immense privilège de pouvoir jouir d’un « accès gratuit sur téléphone aux matchs de Ligues 1 et 2 ». Chic alors ! Même si je fais partie des vieux qui reprochent à leurs enfants leur addiction aux écrans, j’étais quand même super flattée de pouvoir découvrir une nouvelle sensation : regarder un match sur les quelques centimètres carrés de mon smartphone (on ne parle plus de téléphones aujourd’hui puisqu’ils servent à tout, sauf à téléphoner). Moi qui n’ai pas Canal+, j’allais donc pouvoir suivre le couronnement annoncé du Paris-Saint-Germain à Sochaux.
Coup d’envoi programmé à 14 heures. Prudente, j’allume mon appareil à 13 h 50. Téléchargement de l’appli, mots de passe, page d’accueil… les images défilent. Trouver le bon onglet, frotter mon doigt sur le mini écran avec angoisse. Quelle taille fera le ballon ?
Je loupe le coup d’envoi, je m’affole, le temps passe. 14 h 13, message d’alerte. Je cours chercher le chargeur. L’écran passe en mode veille. Le temps de rentrer une deuxième fois les mots de passe… C’est incroyable, oui, ça marche ! Je vois, j’entends. C’est pas grand, mais c’est géant !
ÉTRANGE SENTIMENT DE POUVOIR
Je me suis engagée auprès du chef des sports de ce journal à retranscrire mon expérience dans cette chronique. Alors je prends des notes sur mon ordinateur. Probablement jaloux, il bégaie à son tour, tape une lettre sur deux, et « zéro-zéro » devient « éro-éro »…
Dix-neuf minutes de jeu, toujours éro-éro. Corner pour le PSG. L’intérêt d’une action près des buts, c’est que les cameramen font des plans plus serrés : le ballon devient un peu plus gros. La voix des deux commentateurs envahit ma tête, alors que les joueurs, loin, minuscules, agités, semblent être tout droit sortis d’un tableau de Bruegel, ou des figurants numériques d’un film de gladiateurs. Moi, j’ai l’impression d’être une géante, au-dessus d’une arène.
Tenir au creux de la main deux équipes de foot et un stade entier donne un étrange sentiment de pouvoir. De super-pouvoirs plutôt. Dans Le Choc des Titans, un film de Desmond Davis avec Laurence Olivier en Zeus, tourné en 1981, très kitch, les dieux de l’Olympe baguenaudent autour d’une fontaine rectangulaire qui, grâce aux effets spéciaux, devient l’écran animé dans lequel de petits Terriens très lointains vadrouillent, gigotent et vivent leur histoire passionnante.
On peut tout faire avec ces petits bonshommes dans la main : cuisine, lessive, ménage, toilette, sans perdre une miette du match. Les commentaires résonnent comme du Jonathan Swift, tout en voix intérieure : « Quand on est au bord du gouffre, on remonte. Quand on est au bord de la ligne d’arrivée, il y a de l’hésitation. » Quand on a les joueurs du PSG dans le creux de la main, on est au bord de l’extase. Soixante-dixième minute : « Cavani, le crocheeeeet…». Panne. Vive la télé.
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